Quand «dérogation» rime avec «gentrification»
Par Sarah-Jane Ouellet et Guillaume Béliveau Côté
Depuis quelques mois, la ville de Québec demande aux résidents·es du quartier et au Conseil de quartier de se prononcer sur des demandes de «dérogation» à la réglementation en vigueur. La question qui est posée par la Ville de Québec : devrait-on accepter que se construisent des immeubles privés, même s’ils ne respectent pas les normes de construction et d’aménagement définies dans la réglementation municipale?
Avec la multiplication des projets résidentiels qui demandent des dérogations importantes soit sur la hauteur, le nombre de logements par immeuble ou le non-respect de la surface végétalisée, nous appelons à la vigilance des citoyens·nes. Présentement, n’importe quel·le promoteur·euse peut proposer un projet qui ne respecte pas la configuration actuelle du quartier et la façon dont les résidents·es veulent y vivre. C’est à se demander à quoi sert la réglementation en place si tous·tes peuvent l’ignorer. On se rend compte, malgré l’opposition de plusieurs personnes qui se présentent à ces rencontres de consultation, que leurs voix sont peu prises en considération.
Les promoteurs immobiliers, nous savons déjà que leur intérêt principal n’est pas de préserver la vie de quartier. Ce que nous trouvons insensé, ce sont les prises de positions publiques de la part de la Ville et de la présidente du Conseil de quartier, dès qu’un projet «innovant» est proposé dans le quartier. Il n’y a aucune réflexion globale quant à la gentrification que cela entraîne, c’est-à-dire le déplacement des populations plus pauvres à l’extérieur du quartier, ou au charme de Saint-Sauveur et des gens qui y habitent depuis longtemps. Pour les gens qui prennent le temps de participer aux activités de consultations publiques et qui expriment leurs préoccupations, nous ne sentons pas une réelle écoute. À nos yeux, cela représente un énorme manque de respect.
Un référendum pour se faire entendre?
Pourquoi mobiliser nos militants·es dans ces assemblées voulues démocratiques, si aucun pouvoir décisionnel ne leur est vraiment conféré? Alors que l’opinion des résidents·es et du Conseil de quartier est demandée, l’approbation des dérogations reste une décision réservée aux élus·es. C’est un pouvoir discrétionnaire et arbitraire qu’ils et elles possèdent pour approuver des projets qui, en temps normal, ne pourraient pas voir le jour. Notre pouvoir se réduit concrètement à la dernière étape, par un référendum, que nous ne manquerons pas d’initier lorsque nécessaire.
Le projet Kali
Prenons l’exemple du projet Kali, situé au 577 Boul. Charest Ouest. Un projet de 45 logements sur 5 étages avec une garderie et un commerce de proximité a été présenté aux personnes présentes, le 2 novembre 2022. Ce projet ne respectait pas la hauteur permise pour une construction et le nombre de logements par bâtiment. Alors que la norme prévoit que les bâtiments soient d’une hauteur maximum de 12 m et comptent maximum de 12 logements, le projet Kali serait de 16,2 m de haut et compterait 45 logements dans un seul bâtiment.
Lors de la séance de consultation, le promoteur et l’architecte nous disaient que des 45 logements prévus, entre 7 et 12 logements seraient abordables. Mais abordables pour qui? En fouillant un peu, on réalise qu’un logement « abordable » au Kali pourrait coûter 1025 $ par mois, peu importe sa dimension et le nombre de pièces. Vous trouvez ça cher? C’est aussi ce que pourraient se dire plus de 60% des ménages locataires du quartier pour qui 1025$ représenterait plus de 30% de leur revenu. On ne parle même pas ici des loyers que ne seront pas « abordables ».
Va-t-on permettre la construction d’un énième bâtiment démesurément imposant pour le quartier, comme le St-Sô et le Kaméléon? Accepter qu’un autre projet de ce genre s’érige dans le quartier ouvre la porte, déjà entrouverte, pour que la construction de ce type de bâtiment deviennent une habitude, sans que cela fasse l’objet d’une réflexion plus globale auquel devrait participer les résidents·es du quartier.
Pourquoi accepter le développement de ces projets immobiliers privés ?
Alors que la crise du logement sévit et que le quartier se gentrifie, faciliter la construction de logements dispendieux, en octroyant des dérogations, nous paraît absurde. Ce n’est qu’une minorité des résidents·es du quartier qui pourront se permettre d’y vivre. Nous n’adhérons pas à l’idée que c’est en construisant plein de logements (peu importe leur coût) que nous réglerons la crise et freinerons la gentrification. C’est plutôt en favorisant et en priorisant la construction de logements sociaux et en régulant (efficacement) le coût des loyers avec un registre et un contrôle des loyers qu’on pourra construire un quartier inclusif et accessible.
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