Les mystères de l’Oasis Sauvageau
par Amélie Audet
Blottie auprès du coteau Sainte-Geneviève délimitant la Haute-Ville de la Basse-Ville, l’oasis Sauvageau est à la fois un parc et un lieu de passage entre ces deux quartiers voisins, dont l’utilisation remonte à il y a fort longtemps.
En montant par la rue de Mazenod, les escaliers sur place offrent aux piétons·nes la possibilité de continuer leur chemin vers l’avenue de Salaberry ou vers la côte de l’Aqueduc. Laissée à elle-même pendant plusieurs années, l’oasis a été réinvestie il y a trois ans grâce à la prise en charge de citoyens·nes souhaitant redonner un peu d’amour à ce lieu végétalisé. Au-delà de sa richesse en biodiversité, la présence d’éléments religieux catholiques intrigue. À même le roc, une grotte protégée par une barrière. Un peu plus haut dans les escaliers, une statue. Quels sont donc les secrets qui y sont cachés? Pour les comprendre, il faut creuser un peu plus loin.
Une paroisse animée en plein air
L’histoire remonte à la fondation la paroisse Notre-Dame-de-Grâce, en 1924. Une partie de la population anciennement rattachée à la grande paroisse Saint-Sauveur est alors séparée de la paroisse mère, formant une petite entité entre la rue Kirouac et la rue Bayard. Pour les plus vieux et vieilles, la peine est grande. L’attachement des paroissiens·nes à leur église est très fort à l’époque, et s’en séparer est, parfois, difficilement accepté. Le défi sera donc de développer un sentiment d’appartenance chez les résidents·es du secteur envers leur nouvel écosystème de la vie religieuse.
Située derrière l’église Notre-Dame-de-Grâce et du centre communautaire, l’actuelle oasis Sauvageau attire déjà de nombreuses personnes de l’ensemble de la Basse-Ville. Dès 1927, l’abbé Édouard Lavergne lance le chantier et la maison située au creux de la falaise est détruite par des citoyens·nes pour y aménager une grotte accueillant la statue de Notre-Dame-de-Grâce. Le travail est réalisé par souscription populaire et par bénévolat. Cinq ans plus tard, un monument représentant l’Agonie du Christ est inauguré au bout d’un escalier, et l’année suivante y sont ajoutées une statue de Saint-Joseph, patron des ouvriers, ainsi qu’une fontaine.
Le parc devient rapidement une destination prisée pour les cérémonies religieuses. D’autres activités de loisirs sont aussi organisées par les résidents·es du secteur, comme des cinémas en plein air. L’animation du site participe à alimenter la fierté des paroissiens·nes envers leur milieu de vie et à en faire la renommée dans tout le quartier. (Gilbert, 2012)
Des apparitions de toutes les couleurs
Le lieu devient propice aux histoires effrayantes et à l’imagination des blagueurs·ses. Quelques années après la construction, les gens de la paroisse dénoncent les mauvais coups de personnes qui s’amusent à faire peur aux passants·es en agitant des draps blancs tendus sur un fil, cachés derrière la grotte. Plusieurs croient au miracle… Avant qu’on ne mette à jour la supercherie.
Le moment de gloire de l’oasis se produit toutefois près de 40 ans plus tard, en 1967. Le vendredi 15 septembre, jour de la fête de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, la jeune Allisson, 9 ans, fait sensation. En se rendant prier sur le site après l’école, elle y aurait vu sa mère, décédée il y a un an, ainsi que la Vierge Marie. Elle raconte l’évènement à son père et à ses compagnes. Elle confie également à l’une de ses amies que les apparitions lui ont demandé de revenir le dimanche midi.
Le mot se propage comme une traînée de poudre. Le samedi soir, des dizaines de personnes dorment devant la grotte. Le dimanche, des milliers à attendre le midi avec impatience. Un certain monsieur Verreault, traverse même la clôture à plusieurs reprises pour aller épousseter la statue. La jeune Allisson se rend sur les lieux, mais doit quitter rapidement pour sa sécurité, les gens dans la foule tentant de la toucher.
L’histoire se révèle finalement être inventée. Le lendemain, le quotidien catholique L’Action titre: «Des milliers de curieux attendent, en vain, l’apparition de la Vierge à la grotte de la paroisse N.-D.-de-Grâce». Le vicaire de Notre-Dame-de-Grâce, interrogé par le journal le samedi précédant l’événement, se montre embarrassé, précisant qu’il serait bon de ne pas porter attention aux propos d’une enfant qui voit déjà sa mère partout depuis sa mort. Puis de renchérir avec une certaine pointe d’exaspération: «Lorsqu’on tente de faire comprendre aux gens qu’il faut être prudents dans des cas semblables, nos interlocuteurs s’empressent d’ajouter que les prêtres d’aujourd’hui n’ont plus la foi».
D’ailleurs, l’événement a probablement pour effet de raviver un instant la piété dans Saint-Sauveur, alors que la pratique religieuse diminue tranquillement au cours de ces mêmes années. L’oasis, quant à elle, est remise sous les projecteurs un court moment.
Un magnétisme qui perdure
L’église de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce a été détruite en 2009 et remplacée par une coopérative d’habitation. Depuis peu, des bancs et de la végétation ont été ajoutés à l’oasis. Les citoyens·nes s’y rendent pour courir, promener leur chien, monter en Haute-Ville, discuter, revendiquer, se rassembler. Les enfants viennent y jouer et inventer des histoires. Les activités spontanées s’insèrent tout naturellement dans ce décor en pleine nature. Le soir venu, l’ambiance change et les oreilles se tendent. Certains·es passants·es auraient été témoins de choses étranges. Serait-ce le produit de farceurs·ses des temps modernes? Des apparitions mystérieuses? Chose certaine, le lieu a encore plusieurs secrets à révéler…
SOURCES
- Dale Gilbert, De cloches et de voix. Patrimoine de la vie paroissiale à Notre-Dame-de-Grâce de Québec, 1924-2009, Québec, Éditions Zemë, 2012, 124 p.
- L’Action : quotidien catholique, 1967-09-18, Collections de BAnQ.