Le parcours de combattants des personnes à mobilité réduite
par Amélie Audet
Saint-Sauveur, un jour de janvier, en plein lendemain d’opération déneigement. Difficile de ne pas lancer un ou deux jurons en tentant de traverser un banc de neige oublié en plein milieu de la rue. Parce que oui, quand on circule par ici, on marche bien souvent au milieu de la rue. Les trottoirs ne sont pas très attirants lorsqu’il faut contourner les poteaux électriques et jouer au Twister entre les craques et les plaques de glace. Pourtant, la plupart d’entre nous réussissons à suivre l’itinéraire qu’on avait prévu.
Nous sommes allés chercher notre épicerie et sommes revenus les bras pleins, sans avoir eu trop de mal à enjamber les obstacles sur notre route. Mais disons que nous refaisions l’exercice, cette fois-ci avec un déambulateur. Aurions-nous alors vécu la même expérience ?
Cette question ferait bien rire Josée Ferland. J’ai fait sa connaissance lors d’un précédent numéro du Carillon. Entre deux anecdotes sur son enfance dans la Basse-Ville, elle m’a parlé de ses difficultés à se déplacer dans les rues de Saint-Sauveur. Elle utilise un déambulateur depuis 13 ans. Elle savait donc très bien de quoi elle parlait lorsqu’elle me disait que marcher, ici, ce n’est pas facile ! Lors d’une deuxième rencontre, cette femme déterminée a généreusement partagé avec nous son expérience de mobilité réduite.
Des aménagements qui laissent à désirer dans les commerces
«C’est pas normal que moi, à mobilité réduite, j’aie plus de misère que toi à pénétrer dans un établissement».
C’est avec cette phrase que madame Ferland a résumé les nombreux obstacles qui se dressent sur son chemin pour accéder aux immeubles.
Récemment, par exemple, elle a constaté un manque d’ajustements dans une pharmacie : l’entrée, qui comporte deux portes, était à peine assez large pour la laisser entrer. Son amie en quadriporteur ne pouvait tout simplement pas entrer dans le commerce sans se frapper sur les murs au passage. Et tout cela sur un sol glissant, qui aurait bien mérité un tapis pour pouvoir accueillir tout le monde de manière sécuritaire.
Mais, nous dit-elle, le problème n’est pas dans un seul commerce. C’est dans la plupart des endroits, dont son propre logement.
Le logement
Le trottoir où le transport adapté dépose madame Ferland et les autres résidents·es de son immeuble ne comporte pas de pente (descente de trottoir). Résultat: impossible pour les déambulateurs et les autres aides à la marche de monter et descendre vers la rue.
Pourtant, il s’agit d’un trottoir qui borde un immeuble qui accueille des personnes vivant avec une mobilité réduite. Madame Ferland a bel et bien appelé la Ville l’année passée pour leur en faire part. On a finalement refait le trottoir… à l’autre bout de la rue.
La rue
Et que dire des balades dans les rues ? Toutes les semaines, elle prend l’air avec son chien Maya. Elles doivent emprunter chaque fois un nouvel itinéraire, à cause des obstacles. «L’autre jour, je ne croyais jamais me rendre enfin jusqu’à Saint-Vallier. Avec tous les détours que j’ai pris, je n’ai pas été capable de m’y rendre en ligne droite !». En effet, elle a été obligée d’éviter les rues en réparation, les craques, les trottoirs barrés… «Parfois, des automobilistes me disent que je n’ai pas affaire à être au milieu de la rue. Je leur réponds poliment qu’ils devraient passer un peu de temps en déambulateur avec moi pour comprendre pourquoi je ne peux pas me promener sur les trottoirs».
Aux lumières, le découragement est à son comble : au coin Marie-de-l’Incarnation et Charest, par exemple, il lui arrive souvent de devoir attendre quatre feux piétons pour pouvoir traverser. Et régulièrement, elle doit patienter dans le terre-plein, son chien sur son déambulateur, parce qu’elle n’a pas le temps de traverser en une seule fois.
Sensibiliser la Ville, les élus·es et les commerçants·es
Cela dit, à plusieurs occasions, elle a eu le courage de demander à améliorer des installations, et cela a porté fruit.
Grâce à ses demandes répétées à la Ville, ajoutées aux voix de plusieurs autres, la passerelle des Trois-Sœurs, près de la rivière Saint-Charles, est désormais déneigée et accessible toute l’année.
Dans son propre logement, elle a demandé des boutons pour l’ouverture automatique des portes et cela a été entendu.
Plus récemment, elle s’est promenée sur Saint-Vallier avec le conseiller municipal Pierre-Luc Lachance et celui-ci a pris en considération ses commentaires pour les faire connaître dans les processus de réaménagement de cette rue commerciale. Enfin, dans plusieurs commerces, des propriétaires ont adapté leurs locaux pour qu’ils soient désormais à accessibilité universelle.
Stéréotypes et jugements envers les personnes à mobilité réduite
Il arrive souvent que les personnes qui s’adressent à madame Ferland soient surprises: « Quand les gens me voient avec mon déambulateur, ils me prennent parfois pour une personne avec une déficience intellectuelle. On s’adresse à moi comme si j’étais une enfant, ou quelque chose de vulnérable». Les personnes vivant avec une mobilité réduite sont effectivement souvent associées à des stéréotypes non fondés sur leur intelligence. Cela se répercute alors dans la manière dont elles vont être traitées. Selon les statistiques de l’Office de personnes handicapées du Québec, les personnes avec des incapacités sont deux fois plus victimes de discriminations que les personnes sans incapacité. Alors, quand Josée Ferland leur répond, avec humour et tact, les personnes qui la prenaient auparavant pour une personne sans répartie demeurent surprises… Et changent bien souvent leurs perceptions.
Qu’est-ce que ça veut dire, « accessibilité universelle »?
L’accessibilité universelle, c’est des environnements sans obstacles pour tous, que ce soit pour les personnes avec des incapacités, les personnes aînées, les familles ou encore les tout-petits. En offrant des aménagements accessibles à tous, cela permet de réduire la discrimation et de favoriser l’équité sociale. (Ville de Québec)
La sensibilisation : une première étape essentielle
À la fin de l’entretien, Josée Ferland lance : « Vous savez, de tout ça, je veux qu’on retienne le positif, et qu’on comprenne que le plus important, c’est l’éveil […] Aujourd’hui, j’en comprends plus par rapport aux problèmes vécus par le monde comme moi. Avant, je ne pouvais pas le savoir, parce que c’était trop loin de moi. C’est pareil pour les autres. Si tu n’as pas quelqu’un·e à mobilité réduite dans ta famille, tu ne peux pas comprendre que le trottoir est dangereux et que les portes ne sont pas toutes adaptées, parce que tu ne le sais pas ».
Pour changer le cours des choses, il est essentiel de sensibiliser. Pourquoi ne pas commencer avec les jeunes ?, propose-t-elle. « Il faut qu’ils nous voient dans les pièces de théâtre et les films. Il faut qu’on soit visibles ». Par ailleurs, ajoute-t-elle, il est important qu’on prenne des mesures dès maintenant pour que les nouvelles constructions soient toutes adaptées, parce qu’au final, cela profite à tout le monde. « Si tout le monde embarque, alors on sera traités comme des personnes dites normales », conclut-elle.•