La rénovation, qu’ossa donné?
Par Nicole Brais, avec la collaboration de Michel Desrochers et Nicol Tremblay
En 1975, les citoyens et citoyennes de Saint-Sauveur envoient un message fort à l’administration munici-pale du maire Gilles Lamontagne. On est debout! Vous nous trouverez sur le chemin de vos bulldozers. Tenez-vous-le pour dit: iI n’y aura pas de démolitions dans Saint-Sauveur! Il s’agit d’un acte fondateur, donnant son souffle au CCCQSS et qui a permis au quartier d’être préservé.
Je n’y étais pas, la plupart d’entre vous non plus, probablement. Les plus vieux s’en souviennent. En 1968, le rapport Vandry-Jobin recommandait que Saint-Sauveur devienne une plaque tournante entre deux autoroutes (voir encadré). Dans les années précédentes, Saint-Roch (l’Aire10) avait goûté à la même médecine avec des démolitions massives pour aménager l’autoroute Dufferin-Morency.
Un quartier menacé de démolition
Comme pour Saint-Roch, la Ville avait des visées d’aménagement pour Saint-Sauveur: la paroisse Sacré-Cœur devait disparaître sous le pic des démolisseurs et la population devait être déplacée sous l’effet des programmes de rénovation.
La Ville voulait ainsi donner accès aux abords de la rivière Saint-Charles, bétonnés sur quatre kilomètres à la fin des années1960 dans le but de l’assainir. Porté au pouvoir en 1976, le Parti québécois a mis un frein à la construction de nouvelles autoroutes. Or, c’est surtout l’action citoyenne qui a empêché ces pro-jets démesurés et sans aucune commune mesure avec la réalité et les besoins des résidents·es du quartier.
À qui Saint-Sauveur? À nous, Saint-Sauveur!
En 1975, le CCCQSS se commet avec un mémoire de 43 pages intitulé La rénovation, qu’ossa donne?
Dans le cadre d’une consultation initiée par l’administration Lamontagne, le CCCQSS remplit la grande salle du centre Durocher dont la capacité est évaluée à 500personnes. Tous·tes reçoivent une copie du mémoire. L’objectif: permettre à la population résidente de comprendre les véritables enjeux de la proposition municipale pour l’aménagement et la restauration du quartier Saint-Sauveur. Le mémoire se décline en trois parties.
La première met en lumière ce que la Ville occulte: les rénovations, même subventionnées, auraient des impacts sur la capacité des gens à demeurer dans le quartier. Il est clair que les petits propriétaires et les locataires seront incapables d’assumer l’augmentation des coûts des logements à la suite des travaux.
La seconde résume la position du CCCQSS (voir section suivante).
La troisième partie énumère les garanties qui devraient accompagner le programme de rénovations pour que ces dernières bénéficient à la population résidant à ce moment dans le quartier : gel de taxes, contrôle des hausses de loyer et allocation au logement.
Mon quartier, j’y suis, j’y reste!
Les positions du CCCQSS sont très claires. Il s’oppose fermement au programme de rénovation de la Ville parce qu’il ne respecte pas la capacité de payer des gens de Saint-Sauveur. Il refuse que le quartier devienne une aire de transit automobile entre la périphérie et le centre-ville et dénonce la qualité de l’offre de transport en commun.
Enfin, il s’objecte à l’aménagement des terrains le long de la rivière Saint-Charles, ce qui ferait disparaître des emplois et des logements au bénéfice d’une population plus aisée.
Si les conditions de vie doivent être améliorées dans Saint-Sauveur, c’est pour les gens qui y résident déjà et qui souhaitent y demeurer.
Des quartiers centraux ayant besoin d’amour
Il n’est pas inutile de rappeler que les quartiers du centre-ville, au moment où se développent les autoroutes qui mènent aux banlieues, n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui. La taille des familles et les conditions de logement n’ont rien à voir avec ce qu’on connaît maintenant. Oubliez bain, douche, laveuse, lave-vaisselle, chauffage central électrique…
Dans les années 1970, l’effet « trou de beigne » se fait sentir : les familles qui en ont les moyens quittent leur logement exigu, sans espace pour accueillir les équipements modernes, pour la banlieue, ses bungalows
spacieux et ses grands terrains. Pour les femmes, notamment, la banlieue, c’est le paradis. C’était avant qu’elles ne s’y sentent prisonnières, confinées à leur résidence, sans commerce de proximité et sans voiture.
Une action collective, qu’ossa donne?
La mobilisation a porté fruit. Les opérations de réaménagement urbain d’envergure ont été évitées, assurant le maintien du caractère résidentiel de Saint-Sauveur. Un bureau de la Ville a eu pignon sur rue pour gérer un programme particulier de soutien aux rénovations. Ce programme a pris la forme de prêts, assortis d’un contrôle des augmentations de loyer à la suite des travaux.
Ce programme expliquerait les loyers plus raisonnables dans Saint-Sauveur. En 2016, le quartier enregistre les revenus moyens parmi les plus faibles sur le territoire de la ville de Québec (47 496 $ comparativement à 75 724 $ pour la ville)2. Mais la proportion de ménages locataires allouant 30 % et plus de leur revenu au logement y est plus faible (27,7 %) que dans La Cité-Limoilou (32,4 %) et que dans la ville (31,3 %). L’enjeu de l’accès à un logement décent à un coût abordable demeure.
Au-delà des changements apportés au programme municipal de rénovation, la sortie du mémoire a positionné le CCCQSS comme un acteur incontournable du développement du quartier. Il s’agit de la première d’une longue série de victoires ayant donné au comité ses lettres de noblesse. •