Saint-Sauveur dans la mire de l’extrême-droite?
Par Typhaine Leclerc Sobry
Au cours des derniers mois dans le quartier Saint-Sauveur, des autocollants de groupes d’extrême droite ont fait leur apparition, des membres d’Atalante Québec ont défilé dans le quartier et des actes de vandalisme ont été commis à la Mosquée de la Capitale, sur Marie-de-l’Incarnation. Comment expliquer cette multiplication de gestes à caractère raciste et xénophobe? Les réponses de Maxime Fiset, agent de prévention au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV).
TLS: Pour commencer pouvez-vous vous présenter un peu pour nos lecteurs et lectrices qui ne vous connaissent pas ?
MF: Je suis un ancien skinhead néonazi et le fondateur de la Fédération des Québécois de souche, mais aujourd’hui, je travaille en prévention, justement pour empêcher que des personnes
suivent le parcours que j’ai emprunté à l’époque où il n’y avait pas de prévention. Je me dis qu’aujourd’hui, au Québec, on s’est doté d’un outil fantastique pour empêcher les personnes de souffrir comme moi j’ai pu souffrir, puis de causer du tort à d’autres comme moi j’ai pu en faire.
TLS: Comme résident de longue date de Québec qui s’intéresse à l’extrême droite, diriez-vous qu’il y a une montée de cette mouvance à Québec particulièrement ?
MF: Oui. C’est sûr que Québec a un problème un peu plus aigu que Montréal. Québec c’est pas une ville qui est plus raciste que les autres, il y a du racisme partout. Par contre Québec est plus conservatrice. Durant des années, et encore aujourd’hui, il y a des individus qui ont des idées proches de l’extrême droite qui sont déménagés à Québec en pensant qu’ils trouveraient un milieu plus favorable. Surtout qu’à Montréal ils étaient chassés de certains milieux. Québec, ce n’est pas que le centre-ville. En banlieue et en région, les gens sont moins en contact avec la diversité et ont plus tendance à y être hostiles. Québec n’a pas la palme des signalements en terme de radicalisation mais parmi les appels que le Centre a reçus depuis janvier dernier qui sont liés à l’extrême droite, 80% venaient de Québec.
TLS: Quelle forme concrète ça prend, la radicalisation d’extrême droite ?
MF: Il y en a plein, même s’il faut rester critique. Ce serait probablementfaux de dire que tous les membres de La Meute sont en train de se radicaliser. Par contre, il y a des groupes qui canalisent
l’énergie militante de groupes qui sont déjà radicaux : on peut penser à Atalante Québec. Il y a des groupes comme « Les 3% » qui vont prendre des gens qui se sentent extrêmement aliénés par le gouvernement, les élites et les Musulmans et qui veulent se préparer militairement « au cas où », comme ils disent. Sinon, le cas d’Alexandre Bissonnette (qui a commis l’attentat au Centre culturel islamique en janvier 2017) est un exemple de radicalisation. C’est le mélange d’extrême droite et de radicalisation menant à la violence qu’on cherche absolument à prévenir au Centre. C’est l’exemple le plus extrême qu’on a à date.
TLS: Y a-t’il des secteurs de la ville qui sont plus investis par les groupes d’extrême droite ?
MF: Saint-Sauveur, Saint-Roch, Saint-Jean-Baptiste… À une autre époque, c’était plus Sainte-Foy. C’est là que j’ai connu les skinheads, mais la plupart de ces gars-là sont partis un peu partout. Il y en a beaucoup qui s’impliquent à Atalante Québec. Ils sont très actifs dans Saint-Sauveur. Ils font des patrouilles des fois entre Saint-Sauveur et Saint-Roch pour montrer leur présence puis distribuer des denrées aux sans-abri blancs. Il y a Saint-Jean-Baptiste aussi, où plusieurs d’entre eux habitent, où ils vont sortir dans des bars.
TLS: Comment on explique cette concentration dans les quartiers centraux ?
MF: C’est en partie une coïncidence. Après c’est en fonction des endroits où il y a des logements abordables. Mais c’est une question de concentration. Il y a des gens associés à l’extrême droite dans d’autres quartiers aussi, et en banlieue. Il y en a qui vivent à l’extérieur de la ville et qui viennent à Québec juste pour ça aussi. Mais c’est au centre-ville qu’on les voit se manifester le plus.
TLS: Est-ce que Saint-Sauveur se démarque comme quartier par rapport à la présence de l’extrême droite?
MF: Pas vraiment. Il y a des membres visibles de groupes dans plusieurs autres secteurs. C’est sûr qu’ils aiment ça être vus dans Saint-Sauveur parce qu’ils se sont réappropriés le style ouvrier que les skinheads ont eu pendant des décennies, mais qu’ils avaient comme abandonné pendant les années 1990-2000. En se réappropriant ce style-là, cet idéal-là de travailleur, c’est sûr qu’un quartier ouvrier comme Saint-Sauveur est tout désigné pour eux. Mais pourquoi Saint-Sauveur et pas Limoilou? Coïncidence.
TLS: Saint-Sauveur a été le terrain d’actes islamophobes et racistes, notamment à la Mosquée. Comment ces actes anonymes s’articulent avec le discours islamophobe et anti-immigration que plusieurs groupes portent publiquement ?
MF: Le discours ouvert de certains groupes sert de normalisation. Le fait qu’on puisse tenir des propos (comme ceux de certains groupes) ouvertement, impunément, sur les minorités ethniques ou religieuses, ça convainc certaines personnes que leurs idées sont légitimes. Il y a aussi le contexte qui joue, comme la grande médiatisation des actes de l’État Islamique. À quelque part, les deux actions s’alimentent. C’est à dire que le discours officiel légitime les actions clandestines (comme le vandalisme). Puis les actions clandestines contribuent à créer un contexte où les personnes qui tiennent ces discours se sentent motivées et encouragées à poursuivre parce qu’elles ont l’impression que la « majorité silencieuse» est de leur bord. Ce qui est totalement faux. Il y a une sorte de partage d’atomes : les gens qui font ces gestes là participent aux groupes qui revendiquent le discours mais pas les actions. C’est juste qu’on peut pas le prouver.
TLS: Sur son site web, le CPRMV dit avoir une « approche novatrice, qui met de l’avant la prévention plutôt que la répression ». Quelle forme ça peut prendre concrètement sur le terrain, par exemple dans Saint-Sauveur ?
MF: Je ne peux pas commenter à l’échelle d’un quartier pour éviter qu’on puisse identifier des gens. On a fait des interventions à Québec mais on vise plus des milieux socio-démographiques que des secteurs géographiques. On se concentre particulièrement sur les écoles secondaires et les cégeps, notamment avec la campagne « Et si j’avais tort », qui vise 542 écoles et 62 cégeps. C’est surtout à l’adolescence et au début de l’âge adulte qu’une personne va construire son identité et ses idéologies. Ça peut être une période de la vie très instable, très difficile, alors c’est à ce moment-là que c’est le plus important d’instituer une bonne dose d’esprit critique et de doute sur ses propres convictions. On veut les aider à se construire une identité stable qui ne dépende pas d’agents de radicalisation et de discours radicalisants.
TLS: Au-delà de l’intervention de votre groupe, avez-vous des pistes d’action à suggérer pour les personnes qui s’inquiètent de cette montée de l’intolérance ?
MF: J’aime pas ça que le monde s’inquiète pour ça. Surtout une genre de peur diffuse. À quelque part, c’est pas sain. Faut pas commencer à paniquer parce qu’il y a des gens qui se radicalisent : il y en a toujours eu. Les sociétés occidentales sont de moins en moins violentes mais pourtant, on a encore aussi peur qu’avant. (…) Je pense qu’il ne faut pas alimenter la peur. La peur, ça alimente la méfiance, la colère et la haine. Les gens qui s’inquiètent, je leur dit de ne pas s’inquiéter, mais si un moment donné, ils identifient une situation qui est problématique rationnellement, ils peuvent contacter la ligne Info-radical. Si vous avez un doute ou une inquiétude, appeleznous puis au pire, ce sera rien. Mais il ne faut pas capoter et commencer à chercher de la radicalisation. Si quelqu’un cherche la radicalisation, c’est sûr qu’il va la trouver!
TLS: Je devrais peut-être reformuler ma question. Concrètement, on fait quoi pour bâtir un quartier qui est ouvert sur le monde et qui va dans le sens contraire de la montée de l’intolérance ?
MF: On crée des ponts. Ça se fait pas nécessairement spontanément mais s’ils ne se créent pas, il faut les créer. Il faut se rappeler que les différences, c’est pas une menace, c’est une richesse. Il
faut être curieux et sympathiques à la différence, mais il faut surtout se rappeler que malgré ces différences-là, ce qui nous unit c’est qu’on se ressemble beaucoup. On parle beaucoup des Musulmans ces temps-ci, alors je prends cet exemple : les Musulmans qui viennent au Québec, ils sont pas venus pour amener la Charia, ils sont venus pour se sauver de l’Islam politique — pas tous, mais beaucoup, comme les réfugiés syriens. On a vraiment beaucoup en commun. Et pour que tout le monde s’en rende compte, il faut que les ponts se créent. Je sais pas exactement
comment faire, mais c’est pas sur Internet que ça va se faire. •